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Monsieur le Ministre des transports, comment osez-vous ?




Alors qu’une grève de la faim a été menée en septembre et en octobre par quinze personnes pour demander la suspension des travaux de l’autoroute Toulouse-Castres jusqu’au jugement sur le fond du recours contre les deux autorisations environnementales [1], alors que depuis des semaines s’enchaînent articles et prises de position publiques sur ce sujet, alors que lettre ouverte « Pour nous, scientifiques, l’autoroute A69 est un de ces projets auxquels il faut renoncer » a été signée par plus de 1 500 scientifiques, M. le Ministre, non seulement vous prétendez sans scrupule que tous les référés-suspension ont été rejetés tout en sachant que l’appel du référé-suspension contre l’autorisation environnementale est toujours en instance, mais de plus vous martelez que ce projet résulte d’un processus démocratique et qu’une minorité n’a pas à imposer son point de vue à la majorité.

Comment osez-vous décréter que ce projet est voulu par « la majorité » dès lors qu’il n’a fait l’objet d’aucun vote ? Si l’on devait tout de même chercher à déterminer de quel côté penche « la majorité », c’est du côté de l’enquête publique sur l’autorisation environnementale qu’il faudrait regarder. Comment osez-vous feindre d’ignorer les résultats de ce processus de démocratie environnementale, qui, comme le précise le rapport de la commission d’enquête, a donné lieu à de nombreux avis défavorables ? On devine, en filigrane, du rapport d’enquête publique, concluant par ailleurs à un niveau de participation élevé, que ces avis étaient majoritaires : « Le contexte réglementaire de la présente enquête est significativement différent de celui qui prévalait lors de la DUP de 2016, tant les textes ont évolué rapidement ces dernières années en réponse aux inquiétudes liées au réchauffement climatique et à la perte de biodiversité. Cette prise de conscience est manifestement très présente dans les contributions déposées au cours de l’enquête. »

Comment osez-vous éluder le fait que ce projet sape des objectifs nationaux qui ont eux-mêmes un caractère démocratique, à commencer par ceux de la loi Climat et Résilience puisque celle-ci découle des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat ? Vous le savez, cette loi fixe une trajectoire aboutissant au « zéro artificialisation nette » (ZAN) à l’horizon 2050. Et vous savez sûrement aussi que l’existence de grands projets tels que celui de l’A69 compromet le respect de cette trajectoire pour la période 2021-2031. Ceci est tellement vrai que Mme Florence Brutus, Vice-Présidente à l’aménagement du territoire du Conseil Régional d’Occitanie, a déclaré en juin, dans le cadre de la concertation autour du SRADDET (schéma régional d’aménagement et de développement durables) que l’exécutif régional avait écrit au Gouvernement pour demander à exclure de la trajectoire ZAN les grandes infrastructures et le « foncier économique stratégique » ! Récemment, au cours d’un séminaire sur la sobriété foncière destiné aux élus du Tarn, Mme Brutus révélait que l’enveloppe mutualisée de 10 000 ha pour les projets dits « d’envergure nationale et européenne », attribuée par la loi « de mise en œuvre du ZAN » de juillet dernier et à partager entre les 11 régions françaises dotées d’un SRADDET, était déjà comblée avec les seuls projets recensés dans les régions Occitanie, Hauts-de-France et Nouvelle-Aquitaine. Comme on pouvait s’y attendre, loin d’en déduire qu’il fallait renoncer à des projets afin de respecter le plafond fixé par la loi, Mme Brutus s’est targuée de poursuivre son plaidoyer auprès du gouvernement pour que celui-ci reconnaisse les « spécificités de la région ». Vous êtes forcément au courant de sa démarche et cela ne vous gêne pas que l’on cherche à détricoter la loi issue de la Convention citoyenne pour le climat ?

Comment osez-vous feindre d’ignorer, puisque vous vous abritez beaucoup derrière les élus locaux, que le rapport de la commission d’enquête sur l’autorisation environnementale révèle que les avis des conseils municipaux consultés sur le projet sont très partagés ?

Comment osez-vous assimiler à la démocratie le point de vue pro-autoroute d’élus locaux influents lorsqu’on connaît la façon dont le groupe Pierre Fabre, non content de faire du lobbying intense pour ce projet depuis des décennies, noyaute la vie politique du sud-est tarnais, comme l’a montré l’enquête de Reporterre publiée le 19 octobre 2023 ?

Comment osez-vous en appeler au respect de la démocratie alors même que le Président de la République a un dû envers des groupes qui financent le projet ? Vous n’êtes pas sans savoir, comme l’a révélé Off Investigation que sur les quatre actionnaires formant le consortium ATOSCA, deux d’entre eux (TIIC et Ascendi) sont détenus par des entités (respectivement la banque Rotschild et le fonds de capital-investissement Ardian) ayant contribué financièrement à la carrière politique d’Emmanuel Macron !

Nous se sommes pas dupes : la liaison autoroutière Toulouse-Castres relève bien plus de la ploutocratie que de la démocratie.

« Lorsque le dernier arbre aura été coupé, lorsque le dernier poisson aura été péché, lorsque la dernière rivière aura été polluée ; quand respirer l’air sera écœurant, vous vous rendrez compte, trop tard, que la richesse n’est pas dans les comptes bancaires et que vous ne pouvez pas manger l’argent. »

Proverbe amérindien

(NOTA : Cette lettre ouverte est en ligne sur le Club de Médiapart)

[1L’une contre l’A680 (élargissement du segment Toulouse-Verfeil), l’autre contre l’A69 (nouvelle infrastructure autoroutière entre Verfeil et Castres). Les recours sur le fonds (c’est-à-dire en annulation) contre ces deux autorisations ne seront pas jugés avant 2024.


Publié le samedi 28 octobre 2023.